HICHEM ROSTOM : IL FAUT RÉCONCILIER LA LANGUE AVEC SON PEUPLE

Recueillit par M.B. – www.tunisieinfo.com

 Vous est-il jamais arrivé de refuser un ou des scénarios ?

  • Oh oui, et pour plusieurs raisons. Par exemple, en France, il m’est arrivé de refuser des rôles d’Arabe de service d’une manière trop sectaire ; j’ai encore refusé un très grand rôle dans un film américain où je devais jouer le terroriste… C’est-à-dire que je refuse l’amalgame : un Palestinien est un résistant, non un terroriste, tout comme l’Algérien… Le terrorisme, c’est autre chose ; j’ai refusé des rôles de Français raciste ; pas plus tard que l’année dernière, j’ai refusé un feuilleton tunisien, «Tresses», où je devais jouer le rôle d’un colon français qui tue un Arabe ; je ne peux pas m’identifier à ça…

Ça s’appelle «intégrité» ?

  • Non, je pense qu’il y a une éthique dans notre métier comme dans d’autres ; le problème n’est pas là : je peux très bien jouer le rôle d’un nazi ou d’un fasciste, mais tout dépend de la manière dont est présenté celui-ci ou celui-là… Si c’est pour critiquer ce personnage, d’accord ; si c’est pour le valoriser, là je ne marche pas…

Où vous sentez-vous le mieux : sur les planches ou devant la caméra ?

  • Il y a un fait : en ce moment, je fais plus de cinéma que de théâtre ; à un moment j’étais frustré de cinéma, je faisais beaucoup de théâtre et je ne comprenais pas que le cinéma ne vienne pas ; quand c’est venu, ça s’est enchaîné bien, mais du coup le théâtre s’est mis en retrait, et je crois que c’est lié à la réalité du théâtre en Tunisie. Disons que je me sens plus à l’aise dans le cinéma tunisien que dans le théâtre… En France, j’ai fait soixante pièces de théâtre ; en Tunisie, j’en ai fait quatre, et encore : il n’y a qu’une qui soit de l’initiative des autres («Comédia» avec Fadhel Jaïbi), et après, on n’a plus fait appel à moi… Le théâtre, contrairement au cinéma, se fait vraiment entre les acteurs, ce sont les acteurs qui font le théâtre, le cinéma, c’est les techniciens qui le font… Je me sentirais beaucoup plus à l’aise au théâtre s’il y avait cette homogénéité, ce travail en commun avec les acteurs ; or, en Tunisie, il n’y a pas d’acteurs, ou il y en a très peu : il y a des gens qui ont du talent, mais très peu de vrais acteurs : on ne peut pas faire du théâtre avec seulement du social…

Qu’est-ce qui fait le comédien d’après vous ?

  • Sa personnalité, je pense, sa capacité à observer le monde, ses contemporains, et à transmettre des émotions ; c’est un instrument récepteur-émetteur… Le comédien, c’est d’abord la passion, ensuite le métier… C’est ce qui fait l’acteur, à mon avis, et surtout dans un pays comme le nôtre qui n’a pas une grande production ni une grande tradition ; c’est un pays novateur et avant-gardiste grâce à ses enfants… Je crois qu’il faut avoir une grande conscience politique, sociale, culturelle pour pouvoir faire ce métier… Si en 1992, j’ai décidé de revenir définitivement en Tunisie, c’est parce que j’ai senti que c’est ici que je dois travailler et produire, c’est ici que je dois remplir mon rôle de citoyen, d’artiste, d’intellectuel et d’homme aussi car j’adore ce pays et que je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire…

Être comédien en Tunisie, est-ce que ça nourrit son homme ?

  • Non !, ça nourrit l’esprit, ça oui… Moi, je gagne ma vie en élargissant les horizons de mon métier ; je ne gagne pas ma vie en faisant une pièce de théâtre ou un film, car je peux vous dire que les cachets des acteurs sont de loin inférieurs à ceux des autres pays, même au Maroc ou en Algérie, sans parler de l’Egypte. Je vous donne un exemple : quand un film tunisien coûte un million de dinars, la part du comédien c’est un pour cent, ailleurs, c’est 10%… Moi, donc, je vis avec mon métier d’animateur, d’initiateur, je forme des gens, je donne des cours de théâtre…

On voit rarement Hichem Rostom à la télévision…

  • Dans les œuvres de fiction, je ne sais pas ce qui s’est passé ; j’ai fait un feuilleton que je considère comme étant le meilleur qu’ait fait la télévision tunisienne, c’est «Enness H’kaya» de Hamadi Arafa. Tout de suite après, il y a eu un trou de cinq ans ; après j’ai fait «Vent de sable» de Mohamed Ghodhbane… Et puis, plus rien ; je crois que dans l’esprit des réalisateurs de la télé, je reste un personnage atypique, alors que tous leurs personnages sont des stéréotypes… C’est quelque chose d’incompréhensible… J’ai besoin de travailler à la télévision, c’est le support le plus populaire qui puisse exister… Sinon, ce qui m’étonne un peu, c’est que j’ai tout de même une grande popularité, qui m’honore beaucoup, mais qui n’est pas due à la télévision…

Votre pièce de théâtre, «Didon», à Carthage il y a quelques années, était un demi-flop…

  • Pourquoi demi ?… C’était un échec ou ça ne l’était pas… Il y a un phénomène très important : l’artiste, par moments, a des rêves, et je pense que sans utopie, on ne peut pas faire de grandes œuvres… Depuis mon enfance, je n’ai pas vu un grand spectacle digne de ce nom de Carthage qui est devenu pour moi une sorte de salle de fêtes… Je me suis dit : comment se fait-il que ce théâtre romain fondé pour le théâtre, le Festival de Carthage fondé pour abriter du théâtre, ne fasse plus, ou très peu, de théâtre de grande envergure ; je me suis dit : il faut que je monte quelque chose. J’ai donc pensé faire de «Didon», qui est une grande œuvre internationale, un grand opéra… C’était un projet extraordinaire, avec des chanteurs tels que Sonia Mbarek, Lotfi Bouchnek etc. de grands compositeurs tels que Hamadi Ben Othmane, Anouar Braham, et des comédiens et des danseurs… Mais le projet allait s’avérer trop lourd pour mes seules épaules, je n’ai pas trouvé de soutien à côté de moi… On a fait un spectacle pour le Théâtre de Carthage, pour El Jem, et pour Hammamet… Alors je vais vous dire ceci : on a joué trois fois au Théâtre de Carthage et il y avait eu, chaque fois, 5.000 spectateurs… A El Jem, on a fait 3.000 ; à Hammamet, c’était une catastrophe totale à cause d’une grève des techniciens, ce qui nous a obligés de présenter sans décor, sans publicité et sans annonce : on a fait 100 spectateurs…Enfin, à Monastir, on a fait 1.200 spectateurs… J’ai donc fait en cinq représentations 20.000 spectateurs. Où pouvais-je présenter encore ?… Le Théâtre municipal ? Impossible. Il fallait au moins trois mois de préparation : refaire tout le décor, répéter, et présenter pendant au moins deux mois ; ç’aurait été super, mais le Théâtre municipal ne m’a pas suivi, il est ouvert à tout le monde : les uns arrivent, les autres s’en vont… Je ne considère donc pas, au fond de moi-même, que ça ait été un échec : je peux vous citer des pièces qui doivent être présentées vingt fois pour pouvoir réunir 20.000 spectateurs, et à condition que chacune réunisse vraiment mille spectateurs… Pour moi, «Didon» a été interrompu dans sa vie parce que, une fois la saison estivale terminée, il fallait qu’il eût une carrière hivernale, ce qui est impossible : il n’y pas de lieu approprié pour ça… Je pense donc que ce n’est pas l’échec de «Didon», mais celui des structures théâtrales en Tunisie.

Vous ne trouvez tout de même pas que l’arabe, très littéraire, a constitué quelque part un obstacle ?

  • Ah !… alors je vous retourne la question : est-ce normal que dans un pays arabe, dont la langue est l’arabe, l’arabe devienne un obstacle ? Dans ce cas, c’est l’échec de la langue… Et de toute façon, si la langue y était pour quelque chose, on n’aurait pas fait 5.000 spectateurs à chaque fois… Sinon, c’est vrai qu’il y a un gros problème : de l’Institut supérieur d’art dramatique, vous ne pouvez pas réunir trois ressortissants qui sachent jouer en arabe littéraire ;… lorsque la télévision tunisienne doit faire un feuilleton en arabe littéraire, elle est obligée de demander de l’aide à la télévision syrienne… D’ailleurs, tous nos feuilletons joués dans le dialecte tunisien sont nuls au niveau du dialogue, car ils sont dans une langue bâtarde, inventée par la rue : il n’y a plus d’idiome, plus de syntaxe, plus rien… Alors dites-moi quelle est la langue qui va véhiculer notre culture ! Non, il faudrait réconcilier la langue arabe avec son peuple.

On voit rarement, voire jamais, Hichem Rostom en société : c’est du prestige ?

  • C’est vrai que je ne me sens pas beaucoup à l’aise en société parce que je suis timide ; dans un café à Paris, personne ne s’occupe de personne, ici il y a toujours quelqu’un qui veut écouter ce que tu dis, qui te regarde ou qui veut te demander quelque chose…

Comment jugez-vous Hichem Rostom à l’écran ?

  • Je ne l’aime jamais. Il m’est arrivé de le juger à la troisième personne ; ce n’est plus moi, c’est comme une photo de moi… Je me surprends souvent à juger mon travail, et c’est très positif je crois ; je me dis par exemple : ce genre de types, c’est à ne plus refaire… Raison pour laquelle, d’ailleurs, je pense sérieusement passer derrière la caméra et préparer mon film. Je ne m’aime jamais, parce que j’ai toujours l’impression de pouvoir faire mieux que ça, m’éclater davantage.

Recueillit par M.B.

Source : www.tunisieinfo.com


 

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