WELDI, OU LE POIDS DE LA PRESSION SOCIALE

Par Mouldi FEHRI – Paris, le : 24.10.2018

En voyant ce film, on ne peut s’empêcher de penser au premier long-métrage du même réalisateur, à savoir «Nhibbik Hédi».

Dans les deux cas, le thème principal tourne autour de la complexité de la relation parents-enfants. Mêlée d’amour et de contraintes, cette relation finit souvent par devenir étouffante pour les enfants qui ne pensent plus alors qu’à une seule chose (et ce au grand désarroi de leurs parents) : comment s’en aller ?

La complexité de la relation parents-enfants

«Hédi», personnage principal du premier film, était en quête de liberté face à l’emprise d’une mère, certes aimante, mais trop présente et excessivement possessive, au point de devenir castratrice.
Dans le film «Weldi», le jeune homme Sami (Zakaria Ben Ayed), n’aspire pas à autre chose qu’à cette même forme de liberté qui lui permettrait de se découvrir lui-même, loin du cocon familial et du schéma de vie et d’avenir qui lui est tracé, préparé (et rêvé) par son père Riadh (Mohamed Dhrif).

Sa disparition constitue incontestablement un bouleversement sans commune mesure dans la vie de ce dernier qui y voit, outre la perte de son seul et unique enfant, un échec personnel et un effondrement total de tous ses espoirs et du sens même qu’il donnait jusque-là à son propre bonheur.
En revanche, pour le jeune homme, ce départ du foyer familial, qu’il a certainement prémédité et bien caché, n’est autre qu’une façon d’échapper à la monotonie d’un quotidien qu’il n’a pas choisi et à un avenir qu’il n’a pas souhaité. C’est également et surtout une occasion qu’il se donne pour pouvoir enfin mettre en marche son propre projet de vie, en dehors de toute contrainte, de toute soumission et de toute forme de conformisme.

Le fait que Mohamed Ben Attia traite ce sujet, ô combien important, avec beaucoup de simplicité et sans artifice, lui permet de rester proche de la réalité quotidienne de ses personnages et de la transmettre à l’écran avec le maximum de fidélité et de sincérité.

Et cette recherche constante du naturel et du simple dans la mise en scène, comme dans l’utilisation d’un rythme lent, ne constitue aucune gêne pouvant altérer ou détourner l’attention du spectateur. Au contraire, et grâce à un bon nombre de plans rapprochés, la caméra semble donner la possibilité à ce dernier d’être au plus près de l’action et de s’imprégner de l’atmosphère dans laquelle évoluent les membres de cette famille, pour bien sentir la lourdeur de la monotonie qui la caractérise.

En traitant dans ce film un thème social aussi important que complexe et toujours d’actualité, le réalisateur s’attaque incontestablement à une problématique qu’on peut trouver un peu partout dans le monde. Mais, le choix du cadre et surtout d’une famille tunisienne, nous incite à y voir avant tout une mise en cause des limites et des contradictions de certaines caractéristiques de la société traditionnelle tunisienne. Car, ici comme ailleurs, il arrive souvent que l’amour des parents pour leurs enfants, qui est un sentiment noble, sincère et positif, se transforme, par un malheureux dérapage inconscient et involontaire, en une négation pure et simple de la liberté de la personne aimée (l’enfant).

Or, ceci est malheureusement fréquent dans les sociétés arabo-musulmanes, comme la Tunisie, où la timidité, le devoir de réserve dû au respect des parents et surtout l’absence de dialogues sincères et directs entre ces derniers et leurs enfants débouchent parfois sur des situations imprévisibles et souvent dramatiques pour la famille. Et comme on l’a vécu et constaté ces dernières années, les Tunisiens ont bien souffert de ce genre de situation.

Le conformisme du père, axe principal du film.

Mais, dans ce film, Mohamed Ben Attia ne se limite pas à l’évocation de cette relation paradoxale entre parents et enfants. Il s’intéresse aussi et surtout au personnage du père (Riadh) et à sa conception du bonheur, qui semble complètement désuète et résulter d’une importante pression sociale. Car, en même temps que son départ en retraite, Riadh va successivement perdre son fils unique et se retrouver face à lui-même et à ses propres contradictions.

Pour lui, la notion du bonheur se limite, en effet, à des choses à la fois simples et essentielles, à savoir : s’occuper de sa famille, travailler tous les jours, gagner son pain et préparer l’avenir de son fils, qui, comme lui, doit aussi avoir un bon travail, se marier, avoir des enfants et donc reproduire le même schéma de vie.

On le voit donc, ce film n’est pas qu’une simple tragédie humaine, due à la perte d’un enfant unique et au désarroi de sa famille. Il est aussi et surtout une sorte d’invitation au public à réfléchir sur le poids et les méfaits de la pression sociale sur les individus et à une mise à nu du conformisme de ces derniers qui finissent inconsciemment par reproduire, pour eux-mêmes et pour leurs enfants, sans la moindre contestation, des normes et des schémas de vie qu’ils n’ont pas choisis.

A noter aussi que, contrairement au film «Hédi», le père est ici le personnage principal. Mais, sans être absente ni oubliée, la maman Nazli (Mouna Mejri) semble être reléguée dans ce film à un second plan et subir elle-même le mode de vie choisi par son mari. Seulement, une fois son fils disparu, elle reprend l’initiative et décide à son tour de s’en aller, laissant Riadh, son conjoint, subir dans la solitude les conséquences d’un modèle de vie et de bonheur qu’il n’a fait que reproduire sous le poids des traditions et pratiquement imposer à sa propre famille.

Le risque d’une lecture erronée du film

S’il y a un point qui gêne dans ce film, c’est incontestablement le fait d’avoir utilisé le départ au djihadisme en Syrie comme la destination choisie par le jeune Sami. Car le risque est grand pour que certains spectateurs puissent y voir une forme de banalisation du départ au djihadisme, qui devient de ce fait une destination comme une autre. Sami est parti en Syrie (à un moment où elle est sous le contrôle des terroristes) comme il aurait pu aller ailleurs dans le monde. Alors, pourquoi la Syrie ? Personne ne pourra répondre à cette question, même pas le réalisateur.

D’ailleurs, interrogé sur ce point, «Mohamed Ben Attia regrette une telle lecture et la rejette complètement, en précisant qu’elle ne correspond en rien  à ses propres intentions et encore moins au sujet abordé par le film». Il ajoute que «ce qui l’intéresse ce n’est pas la destination choisie, mais le point de vue des parents qui n’avaient pas su anticiper (et encore moins prévenir) une telle catastrophe, ni même la voir venir».

Il faut lui reconnaitre, toutefois, qu’à aucun moment le film ne montre les atrocités du terrorisme et qu’il se contente simplement de l’évoquer de façon incidente et passagère, en montrant le parcours suivi par le père, parti à la recherche de son fils et surtout le trafic des passeurs qui l’entoure.

D’une façon générale, le réalisateur s’est contenté de faire des constats sur une thématique sociale importante, et indirectement inciter le public à la réflexion, sans pour autant faire passer des positions personnelles sur les questions évoquées et encore moins se mettre dans la position d’un donneur de leçons. Ce qui ne peut qu’être souligné et apprécié.

Pour finir, il convient de saluer la qualité de la performance des acteurs principaux de ce film, surtout que certains d’entre eux n’avaient aucune expérience préalable et significative dans ce domaine.

«WELDI»

  • Genre : L.M de fiction
  • Durée : 1h44
  • Pays : Tunisie, Belgique, France
  • Réalisateur : Mohamed Ben Attia
  • Principaux acteurs : Mohamed Dhrif (Riadh : le père), Mouna Mejri (Nazli : la mère), Zakaria Ben Ayed (Sami : le fils)

Synopsis : «Weldi retrace l’histoire de Riadh qui s’apprête à prendre sa retraite de cariste au port de Tunis. Avec Nazli, sa femme, ils forment un couple uni autour de Sami, leur fils unique qui s’apprête à passer le bac. Les migraines répétées de Sami inquiètent ses parents. Au moment où Riadh pense que son fils va mieux, celui-ci disparaît».
Apprenant par la suite qu’il est parti au djihad en Syrie, alors que rien ne le prédestinait à le faire, son père partira à sa recherche».

M.F
Paris, le 24.10.2018

Voir la fiche technique du film ICI

Dernière info :

«Weldi» vient d’être sélectionné en compétition officielle aux prochaines Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) qui auront lieu du 3 au 10 novembre 2018.


Ajouté le : 2018-10-26 12:42:27


 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire