WIDED ZOGHLAMI, RÉALISATRICE DE «FATHALLAH TV» : RENCONTRE

Propos recueillis par Isabelle Enault pour lepetitijournal.com édition Tunisie, le 8 septembre 2020

À l’occasion de la projection de presse du film «Fathallah TV – 10 ans et une révolution plus tard», nous avons rencontré la réalisatrice Wided Zoghlami, qui signe ici son premier long-métrage : un film réaliste qui touche au cœur. Brut et sans concession, il est le témoignage de jeunes musiciens vivant dans un quartier renié, principalement sous Ben Ali, aux rues numérotées et aux maisons délabrées. 

«Celui qui n’a pas de piston ne trouve pas de travail», je chante pour dénoncer ça

  • Avec la musique pour seul échappatoire, vissée au corps et très présente dans le film, les protagonistes ne relatent pas seulement leurs états d’âmes, leur désespoir, mais celui de toute une population oubliée, que l’on a voulu invisible, ici ou ailleurs, et dont les perspectives d’avenir s’échelonnent entre le gris et le noir. «Le rap était mal perçu par les gens et le système parce qu’il dit tout ce que le système essaie de dissimuler».

SYNOPSIS :

  • Trois destins de jeunes, un quartier, une décennie entre deux époques : 2007 – 2017, de la dictature à la démocratie. À travers les rues et les maisons de Djebel Jeloud, ces jeunes partagent leurs rêves et nous livrent un regard aiguisé sur le pays. En suivant le parcours de trois musiciens et son propre parcours d’artiste, la réalisatrice pose un témoignage sur le processus de création et son impact sur la vie de chacun. Par la musique, le film se fait «porte-voix» d’une génération.

Première du film à Tunis : Fathallah TV & Concert Old 9 School – 9 septembre – Institut français de Tunisie.

Lepetitjournal.com/Tunis : Vous avez débuté le tournage du film en 2007, qui sortira 12 ans plus tard. Pourquoi cette rupture ?

Wided Zoghlami : En 2007, nous étions encore en dictature, il était dangereux de s’exprimer, mais il était aussi impossible pour les protagonistes du film de ne pas exprimer leur ressenti. Il a donc fallu attendre des jours meilleurs.

Tournage clandestin dans un quartier «chaud», vous n’aviez pas mesuré les risques ? 

  • À la base, il s’agissait de suivre le parcours difficile de jeunes musiciens passionnés, un parcours d’artiste dont je faisais partie. C’est au fur et à mesures des prises, où je laissais libre cours à l’expression des sentiments et des rancœurs, que le film s’est avéré être aussi un témoignage sociétal.

Hormis les mamans de deux musiciens, aucune femme ne parle, c’est un choix délibéré ?

  • Non, pas vraiment. D’une part, il y avait peu de femmes dans notre entourage, d’autre part nous étions dans une période où la parole était difficile à prendre, surtout pour les femmes. 

Sortir de ce quartier si proche de la capitale et se fondre dans la masse était-il impossible ?

  • Oui, réellement. Sous Ben Ali, les jeunes de Jebel Jeloud étaient vite repérés à leur allure, à leurs vêtements, contrôlés et bousculés. En bref, on leur intimait fermement de rester « chez eux ». C’est une empreinte presque indélébile.

Propos recueillis par Isabelle Enault pour lepetitijournal.com édition Tunisie, le 8 septembre 2020

Biographie de la réalisatrice

  • Wided Zoghlami est née à Tunis, le 6 janvier 1985, d’une mère belge et d’un père tuniso-sicilien.
 Après des études de cinéma à l’École des Arts et du Cinéma (EDAC) à Tunis où elle se spécialise en réalisation, elle poursuit une quatrième année à l’École International de Cinéma et Réalisation (EICAR) à Paris.
    En 2007, Wided réalise, à Paris, «Presqu’un plaisir», un court-métrage qui sera projeté dans plusieurs festivals.
    C’est en 2007 aussi qu’elle commence le tournage de son long-métrage documentaire intitulé : «Fathallah TV – 10 ans et une révolution plus tard», tournage qui lui prendra plus de 10 ans de temps.
    En parallèle, Wided travaille comme première assistante-réalisation sur divers projets. Elle réalise aussi plusieurs clips musicaux. En 2016, Wided s’intéresse de plus près à la mise en scène théâtrale et au jeu d’acteur, elle intègre alors l’École de l’Acteur du Théâtre National de Tunis sous la direction de Fadhel Jaibi.
    De retour à Tunis en 2007, elle entamera le «Fathallah TV» où elle suivra le parcours de jeunes musiciens qui évoluent dans le quartier populaire éponyme de la banlieue sud de Tunis. Parmi eux Halim Yousfi, le chanteur et leader du groupe Gultrah Sound system, Tiga Black’na et Paza Man du groupe Old 9 School. Elle interrompra le tournage pour retourner en Europe, le groupe Gultrah l’accompagnera à Bruxelles. À partir de 2014 et jusqu’en 2016, elle managera le groupe Old 9 school et, en 2017, elle reprendra le tournage de son documentaire.
    «Fathallah Tv, 10 ans et révolution plus tard» braque la lumière sur cinq destins de jeunes, sur un quartier populaire et figure l’évolution de ses protagonistes, des lieux mais aussi celle de la réalisatrice. Avec une chronologie volontairement déstructurée, sa narration claire, le film est un voyage entre deux époques, subtilement soulignées par l’image. Wided nous embarque dans un périple fait d’aller-retours entre 2007 à l’ère de la dictature et 2017, 6 ans après la révolution du 14 janvier 2011.

Demain je danse

  • La réalisatrice vient de participer au Festival du film expérimental à la station d’art B7L9 à Bhar Lazreg. Depuis le mois de juin, réalisateurs amateurs et professionnels ont présenté des films courts dont les dimensions esthétique et expérimentale sont remarquables.
    Avec le court-métrage «Demain je danse», Wided Zoghlami décline les jours du confinement entre humour et fatalisme. Elle joue tout en invitant le spectateur à réfléchir et – pourquoi pas – entrer dans la danse. Oeuvre intimiste mais très mouvementée, ce film, soutenu par la dotation «Culture Solidaire» de la Fondation Kamel Lazaar, est une chronique personnelle du confinement et surfe sur les états d’âme de la réalisatrice.
Fathallah TV – 10 ans et une révolution plus tard

 

 Source : https://lepetitjournal.com/


Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire