KHADIJA AL-SALAMI, AVANT GABÈS — RENCONTRE EXCLUSIVE

Entretien réalisé par Mansour Mhenni pour tunivisions.net

Rencontre exclusive avec Khadija Al-Salami, avant Gabès : Les filles qu’on marie à onze ans, c’est moi

Publié le 25/09/2015

Du 14 au 18 octobre 2015, se tiendra la première session du Festival International du Film Arabe de Gabès, à l’initiative de l’association «JOUSOUR» qui l’organise grâce au soutien du Ministère de la Culture et de quelques mécènes.

Il faut reconnaître que les organisateurs s’y engagent avec une grande ambition au vu des premiers indices dont l’un, et non des moindres, est la participation à ce Festival de la réalisatrice yéménite Khadija Al-Salami, réalisatrice d’un film-événement, «Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée».

Nous avons eu le plaisir de la rencontrer à Paris, grâce à l’amitié et à l’hospitalité d’un ami commun qui n’est rien d’autre qu’Alain Massé, l’ancien directeur stratégique de Radio-France et ancien directeur exécutif de l’URTI (Union des Radio-Télévisions Internationale). C’est autour d’un déjeuner que la conversation a été engagée pour rompre avec le système des interviews classiques et c’est comme une histoire que nous présentons cet entretien, puisqu’il est question de plusieurs histoires qui se croisent ou qui se superposent.

Le mariage à onze ans

Khadija Al-Salami, est née en 1966 à Sana’a, au Yémen. Forcée par son oncle à épouser un homme de 20 ans son aîné alors qu’elle n’avait que 11 ans, son destin semblait devoir aller sur les pas de celui de sa mère, mariée à huit ans seulement, et de sa grand-mère aussi. Mais Khadija a pris conscience de l’injustice subie par les fillettes de son pays et a senti dans son corps et dans sa tête le sentiment de révolte qui s’emparait d’elle, la poussant à se cogner la tête contre les murs pour crier comme elle pouvait son refus de la tragédie où elle se noyait. Finalement, sa mère se range de son côté et lui présente des excuses ; Khadija quitte son mari et demande le divorce qu’elle obtient. C’est l’école qu’elle veut et où elle va, parallèlement à un travail qui lui est offert par la télévision locale. Elle réussit son baccalauréat à 16 ans et obtient une bourse pour des études de cinéma aux USA, couronnées par un master en production et direction de film. Khadija a entamé une carrière de cinéaste en 1991, dans le genre documentaire où elle a 25 titres, à présent. «Moi Nojoom, 10 ans divorcée» est son premier long-métrage et le premier long-métrage tourné au Yémen.

Ma semblable, ma sœur

En fait, le film est né d’un roman intitulé «Moi Nojoud, 10 ans divorcée», de Nojoud Ali et Delphine Minoui, paru en France en 2009 aux éditions Michel Lafon.
C’est l’histoire d’une enfant yéménite mariée de force à un homme de 30 ans. Elle est déterminée à ne pas se laisser aller à la soumission et à mener un combat de petite fille qui a soif de justice pour toutes ses semblables, ses sœurs de condition et de genre que la tradition et la société condamnent à un statut de sous-humanité. Elle s’enfuit vers le tribunal et crie sa requête à la face d’un juge et d’un avocat : «Je veux divorcer». Heureusement, le juge lui accorde ce divorce tant désiré. On a plus que jamais l’impression ici que l’histoire est un éternel recommencement, puisque cette histoire est aussi celle de Khadija qui a, plus que Flaubert même, le droit de dire : «Noujoud, c’est moi». C’est tellement elle qu’elle s’est permis une transformation significative sur son prénom et Noujoud du roman devient Nojoom dans le film, «étoiles», signe de lumière dans la nuit de l’obscurantisme et de l’ignorance, signe de lumière qu’est le savoir.

C’est mon combat

Une fois libérée de son combat personnel, la défense des femmes de son pays, et surtout des mineures, est devenue le combat de sa vie, sa raison existentielle. Elle lui consacre son œuvre artistique, son action civile dans une association qu’elle a créée pour cet objectif, et sa littérature, parce que Khadija est aussi écrivaine. En 2006, elle a publié un premier livre, «Pleure, ô reine de Saba!», et elle vient de terminer un roman autobiographique, «La Rosée du matin», racontant l’histoire d’une autre enfant, Nada Al-Ahdal qui, à 11 ans, a vu sa grande sœur s’asperger d’essence pour ne pas être mariée de force, et sa tante s’immoler pour échapper à la violence de son mari. Nada veut devenir chanteuse, la suite est dans le roman. Mais à son propos, Khadija dit aussi : «Nada, c’est moi». Ce qu’il importe de savoir aussi, et que Khadija raconte avec beaucoup d’humilité, plus pour informer d’un état de choses que pour satisfaire en elle une certaine fierté, c’est sa détermination à tourner au Yémen, dans la clandestinité, en jouant de prétextes et de simulations, subissant contraintes et obstructions. Imaginez ce qu’elle a dû inventer sur le tas, en arrivant au tribunal pour filmer une scène du film et en découvrant que le juge lui-même était marié à une mineure ! Imaginez-la dans un bus à filmer, en cachette, des policiers tabasser des gens… et la liste est longue. Mais Khadija est plus que jamais déterminée à continuer son combat et se bat comme elle peut pour la distribution de son film, parce qu’elle pense que cela peut aider. Il est vrai que l’ami Alain Massé est d’un précieux soutien médiatique et que deux grandes manifestations ont eu lieu autour du film, à Paris, dont ont on soulignerait celle de l’Institut du Monde Arabe le 8 juin 2015, marquée par un geste très touchant de la ministre de la Justice française. Mais beaucoup reste à faire dans ce sens et Khadija compte aussi sur Hend Sabri (annoncée comme présidente d’honneur du Festival de Gabès), qu’elle ne connaît pas encore directement, mais dont elle avait beaucoup entendu parler en termes de militantisme pour des causes sociales. Ses propres consécrations de cinéaste sont importantes certes : surtout le prix qu’a obtenu son long-métrage «Nojoom» au Dubaï International Film Festival 2014. Mais le plus important, c’est l’effet-film et le message qu’il transmet, au plus large public possible.

Un autre film, une autre histoire au secret de plus de huit ans

Khadija nous fait aussi l’amitié d’une confidence, une autre histoire, et non des moindres, qu’elle filme depuis plus de huit ans, avec une interruption forcée et bientôt un retour à la tâche. C’est l’histoire d’une jeune française, fille d’une éminente bibliothécaire, qui, à vingt ans, s’en va épouser un salafiste du Yémen. Inquiète, sa mère se confie à Khadija qui, sa caméra en marche, suit le parcours de la fille à la recherche d’un élément de réponse aux interrogations et aux appréhensions de la mère. Un jour, celle-ci vient demander à sa campagne d’arrêter. Pourquoi ? «Je crois qu’elle est heureuse dans la voie qu’elle s’est choisie ; alors j’arrête». Khadija conserve ses archives et attend, en s’occupant d’autre chose. Puis, un jour, la mère revient la voir et lui dit : «Vous pouvez reprendre, si vous voulez, je n’ai plus d’objection à cela !»

Plusieurs questions nous interpellent alors, liées à tout ce qui secoue aujourd’hui notre région, surtout les pays arabes, et qui n’est pas sans effet sur le fonctionnement du monde. Peut-être, en fait, que tous les problèmes du Yémen sont-ils là, depuis les mariées à onze ans, jusqu’à la jeune française dans les rangs salafistes.

– Non activistes, précise Khadija.
– Pour combien de temps encore ? Ajoutons-nous.

Entretien réalisé par Mansour Mhenni pour tunivisions.net
Source : http://www.tunivisions.net/


Ajouté le : 2015-10-02 23:31:23


 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire